mardi 16 février 2010

Une enchère qui dérange qui ? Globus Mundi (1509) ou l'enchère à 500.000 euros sans les frais (2 février 2010).



Globus Mundi (1509).

Estimé 5/6.000 euros
Adjugé 600.000 euros avec les frais le 2 février 2010 (vente ALDE).

L'avantage que la salle des ventes publiques procure à l'acheteur sur le feutré d'une librairie ancienne, c'est l'absence obligée de remords et de regrets de la part de l'adjudicataire et ce même si l'enchère dépasse les 500.000 euros pour un volume de 74 feuillets. Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est ici l'acheteur qui décide du prix jusqu'au quel il souhaite aller. Et ce n'est pas rien. Un libraire d'annoncer pour une pièce déjà passablement rare, 5.000 euros ! Halte-là mon bon Monsieur, vous n'y pensez pas ! Le prix est marqué. Une éventuelle discussion à la baisse peut alors s'engager. 3.500 euros je vous dis ! Et encore c'est bien payé ! Je vous garantis. Dans la salle des ventes, l'acheteur potentiel, aguiché par des estimations le plus souvent favorables à l'espérance et à la rêverie volontaire, annonce 1.500/2.000 euros. Soit ! L'acheteur se dit alors le plus souvent : c'est assez ! cet expert sous-estime vraiment tous les lots. Je m'arrêterai sans doute autour de 3.000 euros, voire 3.500. Bien ! Le jour de la vente arrive, adrénaline et chaussettes courtes, bien tendues sur le mollet, notre combattant s'en va en guerre. Et il compte bien remporter la victoire, et ce, même s'il doit y laisser quelques plumes de son honneur de bibliophile raisonnable. L'enchère débute. Commençons à 1.000. 1.000 euros, c'est pris ! 1.200... 1.300... 1.400... 1.600 preneur à la table (tiens la table...) 2.000 euros dans la salle, plus personne au téléphone ? 2.300 à ma gauche, 2.600, 3.000. Notre acheteur quidam transpire. Ses mains sont moites. Son cœur est passé en mode "chamade". 3.500 dans la salle. 4.000 au téléphone ! Plus personne devant ? Plus personne au téléphone ? Notre acheteur, en sueur, lance timidement mais franchement un 4.200. 4.200 une fois, 4.200 deux frois, adjugé à Monsieur en rouge dans la salle pour 4.200 euros. L'expert et le commissaire priseur, d'un regard croisé et satisfait se congratulent dans une sorte de communion digne du travail accompli. Notre acheteur note fébrilement sur le revers de la couverture du catalogue de la vente : Acheté pour 4.200 euros lot n°18. Il griffonne rapidement une sorte de calcul savant. 4.200 + 2 X 420 = 5.040 euros. C'est le prix qu'il aura à payer avec les frais de 20% qu'il avait complètement oublié d'ajouter au moment de l'enchère. Tout a été si vite !

Deux libraires, assis non loin, discutent ensemble. L'un disant à l'autre que ce livre se trouve sur ses rayons pour la moitié du prix et dans une bien meilleure condition. La reliure de cet ouvrage adjugé ne valant pas grand-chose. Décidément dit l'un : "C'est incroyable ! Je lui aurais proposé ce livre à la moitié de cette somme pour un exemplaire plus beau du reste, il n'en n'aurait pas voulu ou me l'aurait méchamment marchandé ! Incroyable je vous dis !".

Notre acheteur, en sortant de la salle son achat sous le bras, croise un de ses amis bibliophiles. Un de ceux que l'on ne voit jamais ailleurs dans la vie que dans les salles des ventes. Fidèle du cénacle, il lui demande : "Alors, cet achat ?". Et l'autre de répondre : "O ! Une bien belle affaire. Je croyais bien qu'il m'échapperait, mais je l'ai eu ! Sur le fil."

Tout était donc justifié et de bon aloi. Tout le monde était heureux et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Notre acheteur a peut-être acheté un peu cher un livre qu'il désirait vraiment. Il ne s'en plaindra jamais. Ou alors il ne s'en plaindra qu'à lui-même, la nuit, entre deux songes. Jamais il ne fera état de ces surenchères excitantes et déroutantes à la fois.

Payer une fois et demi, deux fois, trois fois le prix, un livre qu'on aurait pu trouver moins cher ailleurs, c'est le lot commun de l'amateur de salles des ventes. Mais il ne faut pas nier non plus qu'on peut aussi payer moitié moins cher, alors que penser ? Que faire ? Se plier aux lois du hasard et de la répétabilité des bonnes et des mauvaises affaires ? Je vous laisse juger l'affaire.

Mais lorsqu'un lot estimé 5/6.000 euros finit à 500.000 euros sans les frais (soit 600.000 euros avec les frais - soit près de 4.000.000 de nos vieux francs) !! Alors là, il y a de quoi s'interroger longtemps ! Le Bibliomane moderne se devait de garder la trace de cette enchère mirifique ! Un tel écart entre l'estimation de départ et le prix final se voit rarement. Si rarement d'ailleurs que cette adjudication fait comme jurisprudence bibliophilique dans le Landerneau du bouquin !

Voici donc, en images et en résumé l'histoire de cette terrible enchère. On ne sait pas le nom de l'heureux propriétaire de ce petit ouvrage désormais célèbre. Amateur ? Libraire ? Fondation ? Institution ? Gageons que si nous vivons assez longtemps pour cela, nous reverrons bientôt ce volume réapparaître dans une vente avec la mention : "Adjugé 600.000 euros le 2 février 2010". Cela pose son homme non ? Ou que nous ne le reverrons jamais s'il est enterré à jamais dans la réserve sombre d'une bibliothèque publique...


Premier acte. Notice dans le catalogue de la vente de livres du 2 février 2010 (ALDE).



Deuxième acte. Résultat de la vente : adjugé 600.000 euros avec les frais !


PS : la première personne qui retrouve la trace de cet ouvrage dans les annales de l'histoire du XXIe siècle est priée de venir ici même nous en conter l'histoire par le menu...

Bonne journée,
Bertrand

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