mardi 12 janvier 2010

Livres rares et marché de l'art : le livre unica pris pour exemple.


Le livre rare est bien souvent le parent pauvre du marché de l'art, n'en déplaise à certains libraires qui voudraient nous faire croire à un eldorado mirifique.

La grande grande différence entre un tableau, fut-il d'un petit maître du XVIIIe siècle, et un livre, fut-il rare, voire très rare, c'est la notion d'unica.

Un tableau est par définition une œuvre produite par un artiste en un seul exemplaire. Même la sculpture n'a pas toujours cet avantage puisqu'on sait que les bronzes, pour ne citer qu'eux, sont bien souvent produits à quelques exemplaires (tirages).

Le livre rare ne peut se targuer d'une aussi belle carte de visite.

Les Essais de Montaigne (1580), l'Esprit des loix (1748), Le Tartuffe (1669), aussi rares soient-ils aujourd'hui sur le marché du livre, n'en sont pourtant pas moins régulièrement présents dans les salles des ventes. Évidemment, il y a des livres très rares, qu'on ne connait qu'à un ou deux exemplaires, parfois certains sont même perdus. La première édition subreptice des Lettres de la marquise de Sévigné (1725, titre à la sphère), connue à deux ou trois exemplaires seulement est de ces livres mythiques. Là où le Discours de la méthode de Descartes (1637) fait 78.000 euros (Evreux, 2005), la Femme à la mandoline de Picasso faisait 27.000.000 d'euros (oui, vous avez bien lu, 27 millions d'euros). Pourtant; combien reste-t-il d'exemplaires de belle facture et parfaitement conservés du Discours de la méthode dans son édition in-4 de 1637 ?? Je ne sais pas s'il en reste cent !

Tout ceci pour vous amener à réfléchir sur la valeur des choses et surtout sur ce que devrait être le marché du livre dans un monde qui privilégie sa culture écrite. Loin de moi l'idée de vouloir rabaisser la valeur intrinsèque d'un tableau, d'une sculpture ou d'une quelconque œuvre d'art contemporain. Si le marché établit les choses ainsi, il ne reste plus qu'à se plier à ses règles, à ses modes.

Pour illustrer ce propos je vous invite à lire la fiche n°228 de la vente des livres du vicomte Couppel du Ludde (Alde, Hotel du Louvre, 23 novembre 2009). C'est un exemple qui aurait dû servir de contre-exemplaire. A mon avis, cela n'a pas été le cas. Je m'explique.

Le n°228 est l'Aphrodite de Pierre Louÿs. Édition imprimée pour le compte de M. H. Couderc de Saint-Chamant, 1910. In-4. Maroquin mosaïqué (je vous laisse lire la fiche complète ci-dessous).

Exemple assez rare en pays de bibliophilie. Il s'agit d'un livre imprimé à un seul exemplaire illustré d'aquarelles originales de Claude-Charles Bourgonnier et Adolphe Giraldon (autrement dit de ce livre il n'en existe pas d'autre exemplaire ! et il est illustré de plusieurs petits tableaux (véritables œuvres d'art... unica !) . Je vous laisse lire la fiche dans son entier que je reproduis ci-dessous.



Cet ouvrage "unique", sorte de tableau-bibliophile, était estimé 10.000/12.000 euros. Résultat : 9.000 euros.

Je laisse la suite à vos appréciations compte tenu de ce que j'ai dis plus haut. Pour ma part je ne peux m'empêcher de me dire qu'il est plus facile d'accrocher un tableau à 27 millions d'euros dans un salon que d'enfouir un livre à 9.000 euros, fut-il unique, dans les rayonnages d'une bibliothèque, fut-elle très riche. Cela m'évoque également une réflexion d'une personne de mon entourage qui récemment me disait : "Je préfère les gravures aux livres. Les gravures je peux les admirer et en profiter chaque fois que je passe devant (à défaut chaque fois que mes amis passent devant ils peuvent les admirer aussi... NDLR : ce qui est loin d'être négligeable dans le processus ...) ... Les livres, eux, sont rangés, cachés pour ainsi dire, réduits à la portion congrue de la maison, fut-elle immense, ils ne se dévoilent pas si facilement.

Facilité ! Le mot est lâché. Je crois qu'il y a moins de facilité à acheter un beau livre rare et à en assouvir ses sens et ceux de nos congénères, qu'à acheter un tableau de maître et l'exposer au regard de tous. Fatalité diront certains. Évidence dirons d'autres. Signe des temps ou non, nous y sommes ! En tous les cas, dans l'exemple ci-dessus, la théorie de l'unica ne tient plus pour expliquer un si grand écart de prix sur le marché de l'art entre livres et tableaux.

A vos tablettes,
vos réflexions sur le sujet m'intéressent et intéresseront tous les lecteurs du Bibliomane moderne.

PS : l'erreur de l'éditeur a sans doute été de faire tirer, en plus, quatre exemplaires pour les proches collaborateurs... alors unica ou pas unica ??

Bonne soirée,
Bertrand

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