mercredi 26 août 2009

Jehan Leblond, Seigneur de Branville, le Précurseur. Candidat à l'Académie du Bibliomane moderne.





Aujourd’hui j’aimerais tirer de l’oubli et faire accéder à la gloire suprême, celle de l’Académie des Oubliés, Jehan Leblond, seigneur de Branville, curé de son état mais aussi poète et traducteur, qui mérite plus que les quatre lignes que lui consacre Wikipédia.

Que sait-on de Jehan Leblond ? Peu de choses. Il est né à Evreux, date de naissance inconnue, date de décès inconnue !

La Croix du Maine et Du Verdier nous apprennent que Leblond est l’auteur d’un seul recueil de poésies anti-marotiques, en 1536, œuvre de jeunesse intitulée « le Printemps de l’humble Espérant », et de bonnes traductions de Maxime Valère, Jean Carion, et surtout, de l’Utopie de Thomas More et du Livre de Police Humaine de Francesco Patrizi (ou François Patrice).

C’est la première traduction française de l’Utopie (1550), édition antérieure d'un an à la première traduction anglaise. Elle fera date, pour la clarté du style et la précision du vocabulaire. (fig 1 & 2).



C’est aussi la première traduction en français du livre de Francesco Patrizi, siennois (1413-1494) dans sa version latine abrégée par gilles d’Aurigny.

On voit bien les préoccupations de notre bonhomme et ses choix de traductions : L'île d’Utopie, c’est la conception théorique d'un État idéal parfait, où le travail obligatoire est réduit à 6 heures par jour pour laisser le temps aux citoyens de cultiver leur esprit. (Voire, de surfer sur le Bibliomane Moderne !). Le livre de la Police Humaine est un ouvrage d’éducation du Prince, contenant la meilleure manière de diriger l’Etat en autocrate éclairé.

Ces deux traductions méritent toutes les louanges. « Les traductions en français, réalisées par de véritables auteurs comme Amyot ou Le Blond, sont désormais considérées par les spécialistes comme des jalons remarquables de l'histoire de la littérature et de la pensée » nous dit le catalogue Berès (Le cabinet des Livres, vente du 20 juin 2006, n°15, dont sont extraites les 2 premières figures)

Mais ce n’est pas pour ces belles traductions que Jehan Leblond a retenu notre attention, c’est à cause d’un petit traité resté inconnu de tous les biographes et qui, par son audace et sa nouveauté mériterait une réhabilitation en fanfare.

Je cite le titre : « Petit préambule du translateur, touchant la noblesse, grace et dignité de la langue française, qui peult être une allumette à enflammer toute personne gentille, à soy exercer audict languaige, et en la doulce faconde et poésie d’iceluy » (fig 3)


Quelques éléments de contexte : au XVIeme siècle tous les lettrés parlent, enseignent et écrivent en latin, langue des savants, des actes administratifs et de l’Eglise. Pourtant, les Humanistes prennent conscience de la nécessité d’appartenir à une communauté linguistique qui leur soit propre, de faire émerger un sentiment national.

Défendre le français contre le latin et l’italien devient donc un enjeu de cette première moitié du XVIeme siècle. Geoffroy tory, déjà, dans son Champfleury (1526) montre que, même chez les humanistes, le recours prétentieux et inopportun au latin est jugé ridicule. Rabelais dans le Pantagruel de 1532 reprend les critiques de Tory dans l’épisode de l’écolier limousin. Puis François Ier fait publier en 1536 l'ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose le français comme langue du droit et de l'administration française.

Mais c’est, bien sur, Joachim du Bellay, porte-parole de la Pléiade, qui va écrire en 1549 le fameux manifeste, Défense et illustration de la langue françois, que le groupe illustrera magnifiquement en écrivant quelques chefs-d’œuvre en bon françois.

Dans la Défense, du Bellay nous dit : « C'est, en effet, la Défense et Illustration de notre langue françoise, à l'entreprise de laquelle rien ne m'a induit que l'affection naturelle envers ma patrie ».

Est-ce bien vrai ? N’aurait-il pas lu Jehan Leblond par hasard ? En effet, c’est trois ans avant la publication du texte de du Bellay que parait le Petit préambule de Jehan Leblond sur la noblesse, grâce et dignité de la langue française. (1546) dans lequel il développe sur 9 pages la nécessité de sortir le français de sa condition de langue vulgaire.
« Le motif qui a dressé ma plume de parler des grâces, ensemble des imperfections de la langue, est pour tomber à faire récit de la dignité très-ancienne, et louable authorité de notre langue gauloise, et aussi pour enflammer tous illustre s et nobles esprits , à s’efforcer de la faire reverdir et reluire….car comme une bonne terre fertile de soy, qu’on laisse à cultiver par traict de temps, n’apporte qu’espines et chardons, en ce poinct a été de nostre langue. »

Et de conclure « Donnons ordre (nobles facteurs, poètes et orateurs français) chacun en son endroict, de la faire revivre, et renaitre plus florissante qu’elle ne fut jamais. »
(fig 4)


La devise de Jehan Leblond était « Esperant Mieux ». Que pouvait-il espérer de mieux que d’entrer dans la noble Académie du Bibliomane Moderne ?

Bonne journée,
Textor

Reférences :

Le Printemps de l’humble Esperant, Paris, les Angeliers, 1536, In-16
La Description de l'isle d'Utopie où est compris le miroer des républiques du monde, & l'exemplaire de vie heureuse [.] Paris, Charles L'Angelier, 1550, In-8 de (1) f.bl., (8) ff., 105, (7).
Le Livre de la Police Humaine, Les Angeliers 1546, In-8 de (8) ff - 101 ff - ( 11) ff - (4) ff - 108 ff, soit 232 ff. EO de 1544 pour le livre 1er et 1546 pour le Livre 2nd.

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