dimanche 5 octobre 2008

L'enfer du bibliophile par Charles Asselineau (1860)


Chers amis bibliophages,

merci de votre fidélité dominicale,

Tant que nous sommes à parler des plaquettes qui comblent son bibliophile, qui réjouissent son bibliomane, continuons.

C'est encore une plaquette insignifiante de 69 pages qui nous occupera aujourd'hui.


"L'enfer du bibliophile, vu et décrit par Charles Asselineau". Petit volume in-18 (16,5 x 10,5 cm) à l'allure modeste. Sous couverture gris-bleu, édité à Paris chez Jules Tardieu, rue de Tournon, proche du Luxembourg. Le volume sort des presses typographiques de Jules Claye, au 7 de la rue Saint-Benoit.


Aucune mention de tirage. C'est encore Vicaire dans son Manuel de l'amateur de livres du XIXe siècle qui nous donne quelques détails sur cette publication. Publié à 1 fr. Il est indiqué qu'il a été tiré quelques exemplaires sur papier chamois. Quelques indications sur la cote de cet ouvrage à la fin du XIXe siècle. Un exemplaire en maroquin de Lortic, 25 fr. (exemplaire Asselineau) ; un exemplaire en demi-mar. citron également relié par Lortic, 15 fr. 50 (exemplaire Poulet-Malassis) ; en demi-mar. vert de Allô, 19 fr. (exemplaire Noilly) ; en mar. bleu de Chambolle-Duru, 30 fr. (exemplaire Genard).

En lisant ces différentes provenance de l'Enfer de l'excellent Asselineau, grand ami de Baudelaire et son premier biographe, je ne peux m'empêcher de penser à l'exemplaire que n'a pu manquer d'offrir cet excellent ami au poète maudit des Fleurs du mal. Il est évident qu'Asselineau a du lui en offrir un exemplaire ! Cela ne peut être autrement ! Mais qu'est-il devenu ? Le trouveras-t-on un jour ? J'avoue que ce serait un Graal encore bien plus fort que de trouver un des quatre exemplaires sur vélin de L'amour des livres du bon Jules Janin... (voir article concernant L'amour des livres par Jules Janin, 1866). Mais il y a de ces espoirs qu'il ne faut mieux pas trop caresser de trop près...

Revenons à ce petit ouvrage. Notre exemplaire n'est pas celui de Baudelaire avec cet envoi que l'on pourrait rêver... "A mon tendre ami Charles Baudelaire, ces Fleurs de l'Enfer, offert très humblement, Ch. Asselineau"... Non, celui-ci nous ne le possédons pas, nous ne savons même s'il existe.

Notre exemplaire porte pourtant une dédicace de l'auteur :

"Offert très humblement à M. Jomard, Ch. Asselineau"


Mais qui était ce M. Jomard ? Un bibliophile à n'en pas douter.

Il semblerait que ce M. Jomard soit Edme-François Jomard, né en 1777 et mort en 1862. Disons simplement qu'en tant qu'ingénieur-géographe, M. Jomard participa à la campagne d'Egypte en 1798 et qu'il devint plus tard président de la Société de géographie et créateur du département Cartes et plans de la Bibliothèque Royale, dont il devient conservateur administrateur en 1838. Intéressant à noter : il revendique une part de la paternité des travaux de Champollion lors de leur publication.

On peut lire à son sujet dans l'Année scientifique et industrielle : "La collection de ces cartes, qui existe à la Bibliothèque impériale, est certainement la plus belle de l'Europe. Mais moins avare que le bibliophile en général, M. Jomard ne voulut pas garder pour lui seul ces richesses, et il conçut le projet de les livrer à la publicité à l'état de fac-simile." (1863).

M. Jomard était sans doute bibliophile, ami ou proche de Charles Asselineau, mais pas tant bibliophile pour laisser son exemplaire de l'Enfer du bibliophile broché. Peut-être n'a-t-il pas eu le temps de le faire relier me direz-vous, étant décédé en 1862.

Quoi qu'il en soit, l'exemplaire qui est arrivé jusqu'à moi, sans doute après mille péripéties que seuls les livres arrivent à supporter sans rien dire, est modeste. Riche par l'envoi de l'auteur qu'il contient (je n'en ai pas répertorié d'autres actuellement disponibles avec envoi), pauvre par l'aspect extérieur, en grande partie débroché, les couvertures fatiguées, marquées et salies, un état intérieur passable avec de larges et vagues rousseurs diffuses dans le papier, ... il va bien falloir lui donner un habit digne de son rang !

Le texte ? Savoureux évidemment. En quelques mots d'Emile Colombey :

"L'ENFER OU BIBLIOPHILE vu et décrit par Charles ASSELINEAU. La passion du livre rare est une passion qu tourne aisément à la rage. — Un chasseur se fatigue tout un jour à poursuivre un lièvre endiablé et qui finalement glisse dans les pattes de ses chiens : il rentre au logis, penaud ou grommelant, selon son naturel ; cela ne va pas au delà d'un accèc de mauvaise humeur. Mais je ne vous. souhaite pas de vous trouver sur le chemin d'un bibliophile qui a flairé un bouquin convoité et qui l'a vu passer dans la poche d'un rival : cet homme est capable de tout. J'ai un ami (je le qualifierais de meilleur de mes amis, n'était la crainte d'être traité d'égoïste), — j'ai un ami, dis-je, qui, rééditant ce mauvais sujet de Dassoucy, lequel a eu l'honneur de mettre en musique l'Androméde de Corneille, fouilla vainement tout Paris pour découvrir ses airs imprimés par Ballard : pour la moindre des fioritures de ce chenapan, il aurait donné sa part de paradis. Voilà jusqu'où peut mener cette passion célébrée en belle prose par M. C.h. Asselineau. — Rien de terrible comme son ENFER, où il joue le principal rôle. Figurez-vous un grand diable, qui a passé lui-même sa vie à courre le bouquin et dont la redingote « d'un vert grisâtre » a été le cauchemar des bibliophiles, empoignant l'auteur, l'entraînant sur les quais, à la salle Silvestre, et, par une domination irrésistible, le forçant à acheter des charretées de livres tels que l'Histoire de la Restauration de M. Capefigue : c'est à donner la chair de poule. Mais ce n'est pas tout : le démon couronne son œuvre en contraignant M. Ch. Asselineau à vendre sa propre bibliothèque : c'est à s'arracher son dernier cheveu.— Heureusement que tout cela n'est qu'un rêve, rêve affreux mais que clôt gaiement un déjeuner avec un ami, M. Conrad, flanqué d'une amie, Mlle Rodolfa. Notons, avant de finir, un mot créé par M. Ch. Asselineau pour exprimer la sensualité littéraire : LIBRICITÉ. Ce néologisme mérite d'être placé à côté de celui qui est de l'invention de M. Taschcreau, et qui caractérise si bien certain genre de distraction : LIBRIMANIE. "

Excellent, non ?

Je vous laisse découvrir le texte en intégral ici :

L'enfer du bibliophile par Charles Asselineau (1860).

Bonne lecture,

Amitiés dominicales, Bertrand

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...