samedi 11 octobre 2008

Claude Barbin (1628 ?-1698), libraire de Paris sous Louis XIV


La boutique de Barbin devait se situer à droite sur cette gravure par André Perelle,

sur le Perron de la Sainte Chapelle.


Lorsque vous vous intéressez aux livres publiés dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, il est inévitable à un moment donné que vous tombiez sur un livre édité par Claude Barbin. Libraire-éditeur de la Princesse de Clèves (1678), des Contes (1665-1666) et des Fables de La Fontaine (1668), de Boileau, Racine, Saint-Evremond, Molière ; éditeur des auteurs anciens, Sénèque, Cicéron, Plaute, Ovide, etc. Barbin a édité les plus grands auteurs de son siècle, il est impossible à l’amateur des livres du siècle de Louis XIV de passer outre ce libraire de talent qui finit pourtant sa carrière sans laisser la fortune qu’il était en droit d’attendre de son succès.


On ne sait rien de certain sur les origines du libraire Claude Barbin. Selon quelques commérages du temps, il aurait été le fils adultérin de Léonore Dori, femme de Concino Concini, maréchal d’Ancre, dame d’atour de Marie de Médicis, et de Claude Barbin, intendant de la reine mère, plus tard secrétaire d’état aux finances. Mais cette hypothèse est peu crédible du fait de l’âge de Barbin donné dans son brevet d’apprentissage (Léonore Dori, dite la Galigaï, fut en effet exécutée en 1617). D’après son brevet, Barbin avait treize ans en 1641. Il est donc plus vraisemblable qu’il naquit vers 1628, soit onze ans après sa mère supposée… En revanche, il se peut que le libraire ait été le fils naturel ou légitime de Claude Barbin, ancien intendant de la maison de Marie de Médicis car on trouve seulement dans son brevet, au sujet du père, qu’il fut « vivant bourgeois de Paris ». Sa mère dénommée est une certaine Anne Picard. Quoi qu’il en soit, c’est probablement un garçon d’une certaine condition que Richer accepta comme apprenti pour quatre ans.


Barbin entre en libraire en 1640, période marquée par un désordre important dans l’imprimerie française. Avec des règlementations sévères, une mauvais organisation des apprentis mal préparés (peu instruits sinon illettrés) dans des ateliers de maîtres eux-mêmes mal formés, Barbin arrive au mauvais moment.


Les madrigaux de Monsieur de La Sablière,

édités en 1680 par Claude Barbin. EO.


Barbin ne resta pas longtemps chez Richer. Moins de deux ans en fait. Peut-être incapable ou peu soumis ? en tous les cas Barbin échoua chez Corrozet dans la librairie de la rue Saint-Jean-de-Latran. Corrozet avait été reçu libraire en 1636 et avait sa boutique de libraire sur le perron de la Sainte-Chapelle. Pendant que la France frondait allègrement, on ne sait rien de ce que fit le jeune Claude Barbin jusqu’à sa réception comme maître libraire en mars 1654.


Barbin loua sa première boutique en son nom en novembre 1656 « sise en la Grande Salle du Palais à Paris qui est la huitième en entrant à main gauche ». Il paya 300 livres de loyer annuel.


Le premier livre portant l’adresse du libraire Claude Barbin s’intitule « Le fantôme amoureux » de Philippe Quinault (6 octobre 1656). Il porte l’adresse bibliographique « A Paris, chez Claude Barbin, dans la Grande Salle du Palais, du côté de la Salle Dauphine, au signe de la croix. » Il restera à cet emplacement jusqu’en 1662.


Deuxième partie des contes de La Fontaine.

Rare édition donnée par Claude Barbin à la date de 1667.


La concurrence était rude entre libraires à l’époque. Barbin choisit dès ses débuts le chemin de la littérature précieuse, en publiant des auteurs nouveaux, inconnus ou méconnus. Position courageuse s’il en est. Pour survivre dans ces conditions Barbin stockait et proposait à la vente des éditions publiées par d’autres libraires et sous son nom des titres dont la vente était assurée. Ainsi il publia Guez de Balzac, Le Tasse, Marc-Aurèle. Il se risqua en 1659 à publier en association avec Charles de Sercy le « Recueil des Portraits et Eloges en vers et en prose dédié à son altesse royale Mademoiselle. »


A la fin de l’année 1658, Molière arriva à Paris. Barbin s’associa en 1660 avec Guillaume de Luyne et Charles de Sercy, pour publier la première édition des « Précieuses ridicules ». En 1661-1662, Barbin donna d’autres éditions de Molière en association toujours avec d’autres libraires renommés (Sercy, Luyne, Guignard, Quinet). Barbin semblait lancé dans le métier.


Seconde édition des poésies de Malherbe,

donnée par Barbin en 1689.


En 1660, il épouse Etiennette Auger, marchande lingère dont la famille tenait une boutique au Palais. Barbin dota sa fiancée de 5.000 livres tandis que les parents de la jeune fille dotèrent le couple d’une boutique « d’une boutique assise en la salle Dauphine où est pour enseigne le nom de Jésus » ainsi que des biens pour une valeur de 15.000 livres. Etiennette meurt en couche moins d’un an après leur mariage. L’inventaire après décès qui suivit montra un stock encore modeste en nombre de volumes dans sa librairie. On sait qu’à ce moment il possédait dans sa boutique 137 volumes in-folio, ne représentant environ que 11 titres différents. Un in-folio était prisé environ 5 livres. 89 volumes in-4, 175 volumes in-8, 240 volumes in-12, plus de nombreux paquets de livres encore ficelés non décrits en détails. Ses propres livres ne représentant qu’une toute petite partie de l’ensemble.


Barbin prospérait. En 1662 il quitta la grande salle pour s’installer sous l’arcade située alors devant le portail de la Sainte-Chapelle. Tandis qu’aujourd’hui la communication entre les deux étages de la Sainte-Chapelle se fait par deux escaliers ménagés dans la façade, il y avait au dix-septième siècle et jusqu’en 1850 un escalier de quarante-quatre marches qui montait de la Cour du May et par lequel on entrait dans la chapelle haute ou dans la Salle des Merciers. Sur ces marches se trouvait la boutique de Barbin, où eut lieu la célèbre bataille du Lutrin de Boileau. Claude Brossette raconte qu’à cause de cette bataille on appela ensuite le perron « la plaine de Barbin ».


Désormais l’adresse bibliographique des éditions données par Barbin fut, à quelques variantes près « sur le perron de la Sainte-Chapelle ». Il publie les Maximes de La Rochefoucauld (1664), Nouvelles en vers tirées de Boccace par La Fontaine (1665).


La boutique de Barbin était un des emplacements les plus spacieux de cet endroit. C’était le rendez-vous des lettrés. Située juste à côté du Palais, lieu de passage très fréquenté, Barbin était assuré d’une promotion permanente.


Barbin épouse en secondes noces Marie Cochart en février 1669, fille d’un bourgeois de Paris qui n’apporta en dot que 1.000 livres. Ils eurent deux fils, Charles Barbin qui au décès de son père était contrôleur général de la marine à Saint-Malo et Jules-Paul Barbin qui s’occupera à la fin du siècle des affaires de la librairie familiale.


Barbin continua avec succès à éditer de nombreux auteurs aujourd’hui renommés. Ménage en 1676, Molière en 1674-1675, Racine en 1676, etc.


Succès qui ne tardèrent pas à attirer les foudres du fléau des libraires de ce temps : la contrefaçon. Les affaires furent prospères entre 1660 et 1680 pour ce libraire audacieux, mais suite à un édit général de 1686 limitant le nombre d’ateliers parisiens à trente-six, la concurrence à Paris diminua et la concurrence des impressions provinciales et étrangères devint de plus en plus sévère. Ce sont alors des contrefaçons de Lyon et Amsterdam notamment qui minèrent le marché florissant du livre français. Pour survivre à cette fâcheuse tendance, Barbin eut l’excellente idée de s’associer pour l’édition de plusieurs livres à des libraires de province et notamment avec des libraires lyonnais (Muguet, Briasson et Amaulry entre autres) , avec lequel il partageait le privilège des réimpressions, lui permettant ainsi de mieux contrôler le marché de ses éditions.


Dans ce contexte déjà difficile de l’édition française dans le derniers tiers du XVIIe siècle, vint s’ajouter une crise profonde de l’économie générale du pays, rendant moins facile l’écoulement des éditions littéraires. C’est dans ce contexte que l’on vit l’entreprise ancienne de Cramoisy chuter et les faillites ne furent pas rares. C’est à peine si la petite entreprise de Claude Barbin survécut au marasme de 1695. Barbin fut contraint de revendre maison et biens pour dégager une valeur numéraire de 8.000 livres. Barbin fut obligé de contracter de nombreuses dettes pour rester à flots. Il céda encore en 1695 des lots de livres à d’autres libraires. Ainsi Jean-Henri Mauvais, sieur de La Tour, racheta 25.000 exemplaires d’une cinquantaine d’ouvrages que Barbin avait publiés et qu’il vendit avec les droits de privilège. Cette vente fut conclue pour 40.000 livres payables par somme de 3.000 livres chaque trimestre jusqu’à parfait paiement. Tout fut vendu ou presque. A partir de 1695, le fonds de livres n’était plus à Barbin. Il devait traiter, selon l’anecdote, avec un agent de La Tour pour avoir quelques exemplaires des éditions qu’il avait publiées. Par une convention de mars 1697, La Tour tira plus grand avantage de son investissement. Les libraires qui s’associèrent en la compagnie dite de Barbin pour acheter son fonds de livres étaient six. Pierre Aubouyn, Pierre Emery, Charles Clouzier, Michel David, Henry Charpentier et Charles Osmont convinrent de payer le stock 45.000 livres. Le nombre d’éditions lancées par Barbin diminua d’années en années à partir de 1692. En 1692 il publie vingt-deux ouvrages nouveaux, douze en 1693, dix en 1694, et seulement huit en 1695. En 1696, année de la cession de son fonds à La Tour, c’est un seul ouvrage qu’il publiera. En 1697 sa situation financière semble s’être suffisamment assainie pour voir la publication de huit ouvrages dont deux resteront dans les annales de l’édition : Œuvres de Monsieur de Molière (dernière édition du siècle) et les très célèbres et rarissimes Histoires ou contes du temps passé par Charles Perrault. En 1698 il publie à nouveau huit ouvrages. Barbin arriva au bord de la faillite, il dut même emprunter à l’un de son collègue Thierry la somme de 5.000 livres (1697). Il emprunta à ses fils. Il ne parvenait pas à payer tous ses créanciers. Triste anecdote, le jour même de son décès, Barbin était en train de vendre ses biens.


Il mourut dans sa maison rue de la Callandre le 24 décembre 1698. L’inventaire de ses biens fut rapidement mis en œuvre, et malgré les difficultés de sa librairie, on constate qu’il possédait encore un nombre important de livres, il avait même encore des livres sous presses chez des imprimeurs. 1.151 volumes in-4, 7.433 volumes de petit format, plus de 9.000 petits volumes dans un autre lieu. On notera de nombreux restes qui aujourd’hui combleraient plus d’un bibliophile : 72 exemplaires des Lettres portugaises en deux volumes in-12, 120 exemplaires de la Vie de Scaramouche, 176 exemplaires des Conversations du Chevalier de Méré, 10 exemplaires des Réflexions et Maximes de La Rochefoucauld, 7 exemplaires d’Esther, 13 exemplaires d’Athalie, on trouva aussi plus de 200 exemplaires des Œuvres diverses de Boileau, non reliés « en paquets ». Au final son fonds de livres fut prisé 4.609 livres et 15 sols et le total de ses biens seulement 10.832 livres 3 sols 1 denier. A titre de comparaison, lorsque Sébastien Cramoisy, directeur de l’imprimerie Royale, mourut en 1669, sa fortune dépassait 400.000 livres et celle de Guillaume Desprez (l’éditeur des Pensées de Pascal et des ouvrages de Port-Royal) fut évaluée à 226.357 livres à sa mort en 1709.


Barbin ne fut pas un des grands libraires de l’époque. Les ouvrages qu’il avait publiés, si célèbres qu’ils soient, ne lui apportèrent jamais la fortune. Mais parmi les éditions qui portent sur leur page de titre son nom et l’adresse de sa boutique, figurent de nombreuses impressions des ouvrages les plus considérés de l’époque et les plus recherchés des bibliophiles aujourd’hui. Voilà ce qui distingue Claude Barbin de ses collègues.


Contrefaçon des Oeuvres diverses de Nicolas Boileau,

parue un an après l'EO donnée au format in-4.


Nous passerons rapidement sur les successeurs de Claude Barbin. C’est sa veuve, Marie Cochart qui continua un temps le commerce des livres. Mais Claude Barbin avait de telles dettes à rembourser, notamment à son fils, que le véritable propriétaire des livres était le fils, Jules-Paul Barbin. Ce qui est curieux, c’est qu’il continua d’utiliser l’adresse de « Claude Barbin, sur le Perron de la Sainte-Chapelle », sans doute pour préserver l’image et la réputation « littéraire » que recouvrait encore ce nom. C’est la veuve Barbin qui publia en 1699 les deux premières éditions des Aventures de Télémaque par Fénelon, seule publication sous le nom de Barbin qui occasionna le scandale. Le fils, Jules-Paul Barbin mourut en décembre 1701 et c’est la veuve qui reprit, avec de grandes difficultés, les rennes de la librairie. Elle dut à son tour emprunter des capitaux pour acquérir en son nom la boutique. Elle débita des livres dans sa boutique jusqu’à sa mort en décembre 1707, date de la publication du Diable boiteux de Lesage au sujet duquel il convient de rapporter l’anecdote que l’histoire aura retenu. « deux seigneurs de la cour mirent l’épée à la main dans la boutique de Barbin, pour avoir le dernier exemplaire de la seconde édition ». Vous verrez ci-dessous en reproduction la page de titre de cette seconde édition si convoitée à l’époque. Est-ce le dernier exemplaire tant convoité ? On en rêverait presque…


La célèbre et rare seconde édition du Diable boiteux de Lesage,

pour laquelle deux seigneurs en vinrent aux armes dans la boutique de la veuve Barbin.


Il est évident, rien qu’à la lecture que ces quelques lignes de vie bien abrégées, que le sieur Claude Barbin, aussi bon libraire qu’il put être était un piètre gestionnaire et il est vraisemblable qu’un autre à sa place et avec ses capacités à choisir les bons auteurs, aurait fait fortune. Il n’en était pas de même de sa femme, qui, d’une nature résistante et d’un esprit commercial entêté (ah ! les femmes… ndlr), réussit à survivre aux difficultés financières que lui avait léguées son mari (ah ! les maris…ndlr).


Pour terminer nous citerons quelques traits esquissés à l’époque sur ce libraire en vue des milieux nobles et lettrés de l’époque.


Madame de Sévigné (encore elle…ndlr) écrit à sa fille en 1672 « c’est ce chien de Barbin qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Montpensier. »


Le jeune Esprit Fléchier envoie ce poème à Mlle de La Vigne :


« Le terrible homme que Barbin / Il ne songe soir et matin / Qu’à débiter livre sur livre, / Recueil sur recueil amoureux, / Et si Dieu ne nous en délivre, / Un jour il nous vendra tous deux. / Sottise en vers, sottise en prose, / De demoiselle qui compose / Et de galant qui veut être caché, / Il vend tout et même il s’engage / De donner la clef de l’ouvrage / Et le nom de l’auteur par-dessus le marché. / De quoi sert-il d’être discrets ? / Le Palais saura nos secrets, / L’on en fera quelque histoire nouvelle, / Du moins malgré moi, malgré vous, / On entendra parler de nous / Sur le Perron de la Sainte-Chapelle. / Je consens que nul ne l’estime, / Mais si par malheur on l’imprime, / J’enrage contre mon destin. / Et je ne cesserai de dire, / Le terrible homme que Barbin.


Barbin était homme de livres plus qu’homme de librairie, Barbin s’intéressa au lettrés de son temps, il rechercha toujours à ce qu’on lui confie de nouveaux manuscrits. La réputation de Barbin comme libraire astucieux, artificieux même, provient dans une large mesure de sa publication des ouvrages de Saint-Evremond, considérées comme fort fautives. C’est exagéré, on sait aujourd’hui que Desmaizeaux a largement forcé le trait sur la « mauvaiseté » des éditions Barbin de Saint-Evremond (Voir les dernières recherches de René Ternois). « Faites-moi du Saint-Evremond ! » lui faisait-on dire à l’époque chez un auteur qui écrivait assez bien. Mythe ou réalité ?


Barbin n’imprima jamais lui-même. Il se servit le plus souvent des services des imprimeurs de la rue Saint-Jacques, notamment Denis II Thierry. Ses livres sortirent également des presses de Laurent Rondet, Charles Chenault, Jacques Langlois et les Maurry de Rouen (pour les ouvrages de Thomas Corneille). Sortant des presses d’autrui, ces livres furent imprimés en quantité assez restreinte. 1.500 exemplaires semble être le chiffre du tirage d’une belle vente annoncée. La marque de libraire de Barbin, deux B entrelacés n’apparut qu’en 1679. Auparavant ce sont de simples fleurons floraux ou typographiques qui servent de décor au titre de ses livres, imprimés bien souvent sur un médiocre papier (mais pas toujours).


Voici en quelques lignes ce qu’on pouvait faire ressortir d’un ouvrage que je ne me lasse par de feuilleter, consulter et consulter encore, et qui a pour titre : « Claude Barbin, libraire de Paris sous le règne de Louis XIV ». Ce volume, parut dans la collection « Histoire et civilisation du livre – 5 – » et écrit par Gervais E. Reed, publié à la librairie Droz à Genève en 1974. (in-8 de 131 pages).



J’aime Barbin. J’aime ses livres. Cela ne s’explique pas, cela se ressent. Je suis bien désolé de ne pouvoir mettre une image sur sa physionomie. Aucun peintre, aucun graveur n’a daigné nous laisser son portrait. Nous ne serons de lui que ce qu’il nous a laissé de grand, ses livres, et sa ruine.


En espérant que vous avez pris autant de plaisir à lire jusqu’au bout ces lignes, que j’en ai pris moi-même à vous les retranscrire,


Amitiés bibliophiles,

Bertrand


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