lundi 22 avril 2013

L’Hymnaire d’Antoine Denidel, imprimeur parisien. Ou petite histoire d'un incunable trouvé au fond d'une caisse ...


Le weekend de Pâques [NDLR : désolé pour le retard dans la publication] est traditionnellement jours de fête du livre à Bécherel, ce petit village de Haute-Bretagne où d’irréductibles libraires possèdent encore des boutiques en vrai.

Il fait encore un peu frais au moment du déballage et, cette année, il faut déblayer la neige avant d’installer son stand mais l’arrivée massive des bibliophiles, dès le premier rayon de soleil, a vite mis de la bonne humeur. Le thème de l’événement est : « Merveilleux imaginaires… », et pour s’en convaincre des personnages venus des âges farouches, habillés de peau de peaux de bêtes, une épée à la main, cherchent à faire peur aux petits enfants. 



Fig. 1 Premier feuillet, non signé, contenant la Préface.



Fig. 2 Feuillet Aiii début de l’Hymnaire.


Profitant de cette diversion, je fouillais tranquillement les cartons des bouquinistes. C’est dans un carton comme ceux-là que m’attendait le livre que je vous présente aujourd’hui. Sous ses aspects rebutants (Pas de page de titre, pas de gravure, pas de lettrine enluminée à la feuille d’or, pas d’annotation par un personnage historique), il aurait du logiquement retourner dans le carton d’où je l’avais tiré. Mais voilà, il avait pour lui une impression gothique en deux tailles de caractère qui m’avait paru jolie. Il faut toujours se fier à la joliesse des caractères quand la lecture du colophon se révèle insuffisante pour déterminer la date de l’ouvrage : "Impressum parisii per magister Anthonium Denidel ante collegii de Coqueret in intersigno cathedre commorante".


Fig 3 Colophon d’Antoine Denidel, à l’enseigne de la Chaire.


Seuls, peut-être, quelques conservateurs de la réserve des livres rares de la BNF auraient pu « tilter » sur l’adresse et en déduire automatiquement que le livre datait d’avant 1501 puisqu’Antoine Denidel, imprimeur-libraire parisien, n’aurait exercé que jusqu’au 20 octobre 1501, pendant une courte période d’à peine 7 ans. 

Ce maître ès arts et bourgeois de Paris travailla d'abord en association avec Nicolas de La Barre, vers 1496, puis avec Robert de Gourmont, à partir de 1498. Sur les quelques soixante-dix éditions portant le nom de Denidel, seul ou en association avec un autre imprimeur, seules une petite quinzaine sont datées.

Le catalogue de la BNF nous donne les adresses suivantes : Paris, 1495-1501. Au collège de Coqueret, rue Chartière. Au Mont Saint-Hilaire, auprès du collège de Coqueret. Presque en face des écoles de décret, rue Saint-Jean-de-Beauvais. Près du collège de Coqueret, rue du Mont-Saint-Hilaire. - Enseigne(s) : À l'enseigne de la Chaire. À la Corne de cerf.

J’ignore si cette liste est donnée dans un ordre chronologique, mais si tel est le cas, la boutique à l’enseigne de la Chaire (Intersigno Cathedre), située près du collège de Coqueret, au Mont Saint Hilaire, (c'est-à-dire aujourd’hui dans les environs de la rue de Lanneau et de l’impasse Chartière) serait sa première adresse ce qui permet de dater l’ouvrage des années 1495-96.

Un autre indice permet de conclure que cette impression est antérieure à 1498 : Il existe une autre édition sortie des presses d’Antoine Denidel, en 50 feuillets (en a8, b-h6) que le catalogue intégré de la British Library (ISTC) date de 1498 (4 exemplaires localisés). et qualifie ainsi : «Therefore, not HC 6781 in 48 ff », pour indiquer que cette version est différente des exemplaires en 48 feuillets, et très certainement postérieure. Selon l’ISTC, la mention Paris (Parisii) n’apparaitrait pas. Pourtant Marie Pellechet donne une description détaillée de cet exemplaire en 50 ff. et mentionne : « fnc 50 r° Table, car.moyens : equitur tabula hymnorù / Plus bas : le colophon : finit cöpendiosa hymnorù expositio que nedù difficilù ver / borù significata : verùmetià denidel / ante collegiù de Coqueret in intersgno cathedre cömorantem/ plus bas Laus deo ».

Mon exemplaire contient 47 feuillets et devrait en contenir 48 puisque le second feuillet est signé aiii, bien que le premier, débutant par la préface, n’ait curieusement pas de signature. Il manquerait donc une page de titre à la marque de Denidel, ou alors cette version était destinée à recevoir un titre à l’enseigne d’un autre libraire qui n’a pas été inséré. Pour le reste, les cahiers sont complets et les signatures se suivent : a8 (-1), b6, c4, d-h6. 

Une troisième version imprimée par Denidel, datée celle-là, du 14 Novembre 1499, est en 52 feuillets. (2 exemplaires localisés au Mans et à Milan).

Pour la petite histoire, le fameux exemplaire en 48 feuillets mentionné à l’ISTC et cité soi-disant par Hain-Copinger sous le numéro HC 6781, est bien difficile à localiser. Deux exemplaires seulement sont répertoriés par l’ISTC comme devant être des HC 6781, tous les autres étant des [Therefore not HC 6781 in 48 ff.], l’un à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, l’autre à Manchester. Or, quand on vérifie dans le catalogue de la BHVP lui-même, on découvre que l’exemplaire en question est en 50 feuillets, donc nullement le HC 6781 ! Quant à l’exemplaire de Manchester aucun détail n’est donné sur la collation. Enfin, le Hain-Copinger ne donne aucune collation pour le n° 6781 et nous ne savons pas quel exemplaire pu servir à établir qu’il était en 48 feuillets. Ces répertoires anciens sont souvent fautifs et leur compilation dans l’ISTC n’est pas un gage d’exactitude; Il faudrait revoir sérieusement l’inventaire de l’ISTC au sujet de l’Expositio Hymnorum.(1)

Pour résumer, si vous me retrouvez la trace d’un exemplaire de l’Hymnaire imprimé par Denidel vers 1496 en 48 feuillets, je suis preneur de l’information, j’aimerais bien savoir quelle page de titre le décorait, si toutefois il y en avait une.



Fig. 4 Le Veni Redemptor Gentium, attribué à Saint Ambroise



Fig. 5 Feuillet c1 : Tu, Trinitátis Unitas, Orbem poténter quæ regis


Pour revenir à notre imprimeur, je ne sais quelle infortune avait accablé Antoine Denidel au cours de sa vie pour qu’il prît comme devise cette formule « Déni d’Elle » (il est vrai assez bien adapté à son nom). Qui était donc ce personnage féminin qui l’avait si douloureusement renié ? Un amour de jeunesse ? Une voisine du Mont Saint Hilaire déjà engagée ? Une figure symbolique comme la fortune ou la gloire? Ou bien faut-il comprendre au contraire que notre imprimeur avait échappé à la Mort ? Difficile de le savoir. Renouard tente une explication bien compliquée : déni d’Elle, la Croix, sous prétexte qu’une de ses marques figurait un denier et la Croix. Une sorte de rébus qui ferait de Denidel un disciple de Judas, bizarre. Il est vrai qu’Erasme s’est plaint dans une de ses lettres du peu d'honnêteté de notre imprimeur qui ne lui aurait pas payé le produit d’une vente de livre, le traite ! Sur une autre de ses marques figure Saint Nicolas et Sainte Catherine portant un écusson avec les initiales AD, liées par une cordelette, tandis que deux anges tiennent un autre écusson à la fleur de lys. Cette marque est plus courante, nous n’avons pas vu celle au denier et à la Croix.



Fig. 6 La table des hymnes



Fig. 7 Ecce iam noctis tenuatur umbra


Pour finir, un mot sur les hymnaires médiévaux, sinon vous allez encore dire que les bibliophiles ne lisent pas leurs livres.

L’ouvrage débute par une préface identique à l’exemplaire imprimé par Pierre Levet en 1488 (numérisé sur Gallica) et sur laquelle notre exemplaire semble avoir été copié : « Liber iste dicitur liber hymnorum…. ». Suivent les noms de quatre auteurs des hymnes : Grégoire, Prudence, Ambroise et Sedulius (voir fig. 1 et 2) 

Les hymnes médiévaux sont ces courtes poésies chantées qui servaient à embellir l’office de la messe ou rythmaient les offices monastiques quotidiens. Certaines hymnes ont été identifiés comme des chants profanes venus de l’antiquité grecque et romaine et qui on été christianisés (comme le Dies irae célébrant la Sybille (Je sens que Bertrand va s’intéresser aux hymnes tout d’un coup ! [NDLR : bof ... ça vaut pas la Vie Parisienne]) . C’est Saint Augustin qui en donne la meilleure définition : « Si vous louez Dieu sans chanter, ou si vous chantez sans louer Dieu, vous n’avez pas une hymne. ». La poésie en question doit donc être mesurée et rythmée.

De savantes études les ont classées selon leur source et leur usage. (2)

L’histoire de l'hymnographie médiévale commence avec certitude au IVe siècle lorsque Saint Grégoire de Nazianze et Saint Hilaire de Poitiers composèrent les premières hymnes latine de l’église, sans réussir toutefois à les rendre populaires, ce que parvint à faire Saint Ambroise, évêque de Milan, qui est véritablement le père de l’hymnodie latine. Ces auteurs jetèrent un pont entre les Églises d'Orient et d'Occident, car il se peut, qu’outre la tradition de la poésie latine, ils se soient inspirés de modèles orientaux. Saint Augustin en témoigne dans ses Confessions (IX, 7, 15), où il rapporte que, lors du siège des églises, pendant le carême 386, « pour empêcher que le peuple abattu ne séchât d'ennui, fut institué, à la mode orientale, le chant des hymnes et des cantiques. L'usage s'en est maintenu depuis ce temps jusqu'à aujourd'hui et il a été suivi en maints endroits, voire presque partout, imité de ton troupeau dans le reste du monde ».

Les hymnes ambroisiennes sont louée depuis toujours pour leur simplicité. Elles comportent huit strophes de quatre lignes et jouent sur le rythme des syllabes, la légèreté de la versification (tétramère iambique) et sur de belles mélodies, que Saint Ambroise a composées lui-même. Ses Hymnes avaient tant de succès et étaient si faciles à comprendre que les croyants ne tardèrent pas à en composer à son exemple, ainsi qu'il le rapporte lui-même (Sermo contra Auxentium 34).

On connait quatre hymnes attribuées avec certitude à Saint Ambroise car présentées comme telles par Saint Augustin ou Cassiodore. Les hymnes Aeterne rerum conditor pour les laudes du Dimanche, Deus creator omnium, pour les vêpres du Samedi, Veni Redemptor Gentium (qui figure en haut à droite de la figure 5) et Jam surgit hora tertia. Pour une dizaine d’autres les experts ne sont pas d’accord, mais il est sur que l’hymne ambroisienne Te Deum n’est pas d’Ambroise.

Par la suite, et progressivement jusqu’au XIème siècle, la rime finit par remplacer l’assonance. Prudence a composé à la fin du IV siècle des hymnes destinées à la dévotion privée, d’un style plus éloquent et dramatique comme la Nox et Tenebra. Du poete Sedulius au milieu du Vème siècle, nous avons A solis ortu cardine et Hostis Herodes impie. D’autre ensuite comme Ennodius ou Venance poursuivrons la tradition jusqu’à écrire des hymnes en langue barbare (Pouah !) comme l’ont fait le cercle des poètes du Palais de Charlemagne.

Outre la transmission liturgique à travers les bréviaires et les psautiers, les hymnes vont connaitre une grande diffusion à la fin du XVème et au début du XVIème siècle grâce à cet Expositio Hymnorum. C’est une sorte d’anthologie de 83 hymnes accompagnée des commentaires, rédigés vers le XIIème siècle, par un auteur inconnu nommé Hilaire (Qu’il ne faut pas confondre avec Saint Hilaire de Poitiers) (3). Le succès du recueil provient des commentaires originaux et du fait qu’il servit de manuel scolaire pour l’apprentissage de la grammaire latine. (D’ailleurs, certaines bibliothèques le classaient anciennement dans la rubrique « grammaire » et plusieurs éditions incunables comportent une gravure représentant un maitre entouré d’élèves).

La version primitive parait en France sous le titre Aurea Expositio chez A.Caillaut, 1480 puis 1492, rééditée notamment par P. Levet en 1485, 1486, 1488. Une version révisée, incluant sept hymnes supplémentaires provenant d’une édition allemande, parait chez D.Bocard, en 1496, sous le titre Expositio hymnorum per totum anni circulum, puis chez Macé à Rouen en 1500. Une nouvelle édition sort des presses de D.Rocé, diffusée par J.Bade en 1512, puis par E.de Marnef en 1515 ; elle reprend une version en 95 pièces issues de la tradition germanique (H.Quentell, 1492). Nous avons déjà dit que la nôtre est copiée de la dernière édition de Levet. L’ordre des hymnes peut varier selon les éditions, mais les commentaires ne diffèrent pas sensiblement entre la version de Bade et celle de Levet, elle-même directement issue de la tradition médiévale.


Fig. 8 Préface (détail)


L’importante préface, qui ouvre le recueil dans toutes les éditions, expose les objectifs de l’hymnaire : « Prima intentio fuit describere illos (hymnos) qui cantantur in prima ferie et sic deinceps secundum ordinem» (voir Fig. 8 ligne 7). L’intention première est de décrire les hymnes dans l’ordre normal de l’année liturgique. La seconde est de donner une connaissance de la nature de Dieu selon le rapport de l’Unité à la Trinité pour orienter le lecteur vers un savoir contemplatif. (« Cognitionem habemus unitatis et trinitatis supponitur theorice i(d est) divine contemplationi » - ligne 9). Suit une longue explication sur le rythme des fêtes solennelles calées sur les cycles de la nature et l’alternance des jours et des nuits, des ténèbres de l’ignorance opposé à la lumière de Dieu.

Bref, vous l’avez compris, la matière de l’hymne est allégorique et suppose des explications, essentiellement paraphrastiques, que l’on trouve dans le commentaire. C.q.f.d. Achetez mon livre semble dire Hilaire. Ce que je fis illico. On savait faire la promo au XIIème siècle ! (5).

Bonne Journée
Textor

(1) Pour preuve supplémentaire, L’ISTC relève un exemplaire prétendument imprimé par Denidel en 1488 que Pellechet aurait mentionné avec la fausse date du 8 décembre 1480, (M Quadragentesimo L XXX octo die mensis decembris). Il est indiqué qu’il ne peut être daté que postérieurement au Levet de 1488 sur lequel il est copié. Or c’est une grossière erreur que le catalogue de la BNF a rectifié, il s’agit d’une impression d’ Anthonium Calliaut et non d’Anthonium Denidel !! Il figure pourtant toujours dans l’ISTC parmi les éditions de Denidel.
(2) Pour une histoire complète des Hymnes et leur analyse voir : Hymnes latines et Hymnaires par Dom Jules Baudot, Paris, Lib. Bloud et Gay 1914.
(3) Peut-être le disciple d’Abélard, voir in Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiques, Paris, Le Touzey et Ané, 1990, t.XXIV, col.457-458.
(4) Voir la liste donnée par A. Moss, in “Latin liturgical hymns and their early printing history”, p. 116.
(5) Pour une bibliographie détaillée de l’histoire des hymnes, voir l’article de Nicolas Lombart consacré à l’hymne « Christe qui lux es et dies » in Camenae n°5 – Nov 2008

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