mercredi 1 août 2012

De l'amour discret du livre de collection... par François-Philippe Hollier | 30/07/2012 (LA TRIBUNE)


Emmanuel de Broglie lors d'une vente de livres anciens à l'Hôtel Drouot.

Éditions rares, souvenir des éblouissements livresques de l'enfance, fascination des hommes illustres, reliures exceptionnelles... l'amour discret du collectionneur de livres anciens se nourrit et se magnifie dans le silence d'une quête incessante.

À une époque où l'on ne parle plus que de « dématérialisation » des contenus, et où le livre virtuel, celui que l'on peut lire sur une tablette, semble promis au plus bel avenir, nous sommes un certain nombre à cultiver une pathologie singulière : la passion du livre ancien. Et nous poussons le vice jusqu'à tenter de la faire partager au plus grand nombre, y compris auprès de ceux pour lesquels cette idée de collectionner de vieux manuscrits ou des éditions rares apparaît comme à la fois saugrenue et inutile. Puisqu'un grand journal économique nous offre la possibilité de défendre notre cause, et même si l'idée d'acheter des livres pour réaliser un bon placement n'est pas la motivation première de ceux qui se livrent à cette dévorante passion, saisissons notre chance et tentons d'argumenter.

L'histoire et la culture des hommes

Un livre, c'est d'abord une émotion : une reliure rare, l'édition originale d'un livre qui a marqué l'histoire de la littérature, comme Les Fleurs du Mal de l'éditeur belge Poulet-Malassis, en 1857 ; un manuscrit qui a été manipulé par un personnage historique d'exception, comme l'exemplaire personnel de Louis XV de l'Almanach royal de 1749 ; une première relation de voyage dans une édition originale, comme le recueil de Monsieur Thévenot, édité à Paris en 1682, qui contient une carte de l'« Amérique septentrionale » réalisée en 1663, ainsi que la première carte du fleuve « Mitchisipi », comportant des indications de lieux, tels « nations qui ont des chevaux et des chameaux » ou « ils ont des fusils ». Posséder l'un de ces livres, c'est être le dépositaire d'un petit extrait de l'histoire et de la culture des hommes, veiller sur lui avec un soin jaloux afin qu'il poursuive son voyage de pèlerin de la connaissance et du savoir. Commencer une collection de livres anciens est chose aisée. La marchandise est abondante et les façons d'entrer dans ce passionnant voyage peuvent être très diverses. Certains sont frappés dès leur plus tendre enfance, comme Emmanuel de Broglie, l'un des experts français les plus reconnus, qui a acheté son premier livre à 14 ans. Que dit-il des livres anciens, cet homme qui passe une bonne partie de son temps au milieu d'eux ?
Le livre ancien est un objet ouvert à tous. Il faut juste trouver un thème et le creuser. Cela peut être les reliures, et l'on recherchera alors les travaux les plus anciens, les plus rares, en tentant de remonter le temps jusqu'à l'aube des livres. Mais cela peut être aussi les éditions originales des livres qui ont marqué votre jeunesse, le théâtre de Molière par exemple, même si l'on n'en connaît presque aucune édition originale ; une édition d'époque de Guerre et Paix en langue russe, les livres d'heures manuscrits, d'avant le temps de l'imprimerie ou imprimés avant la veille de Pâques de l'an 1500 (les incunables), comme cette édition flamande, datée de 1428, conservée dans sa reliure d'origine, et illustrée de dix-sept miniatures, qu'Emmanuel de Broglie a expertisée à l'occasion d'une vente récente. Mais il connaît des collectionneurs qui se focalisent sur un seul sujet, tout ce qui été écrit sur l'affaire Dreyfus, par exemple, ou les livres illustrés de grands artistes dans les années 1920-1930, et signés de relieurs hors pair, comme L'Histoire de la princesse Boudour de 1926, une reliure Art déco remarquable, signée Paul Bonet, l'un des grands maîtres du genre. Ou encore La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay, édité à Paris en 1913, dans lequel poème, mise en page et peinture ne font qu'un, et qui a été adjugé pour 260 000 euros à Paris, le 28 mars dernier...

Le quête n'a pas de prix

La beauté du livre ancien, c'est que l'on peut éprouver la même émotion à acquérir un « almanach chantant » de 1812, intitulé Les Progrès de l'amour ou le Jeu de ses flèches, orné d'un décor de fil d'argent, pour 650 euros, ou bien Le Livre de la jungle en deux volumes de Rudyard Kipling, datés de 1924-1926, aux éditions du Sagittaire, dont la couverture est ornée d'une bande de peau de lézard... ou encore les Mémoires de sages et royales économies d'état, domestiques et militaires de Henry le Grand, écrites en réalité par Sully, imprimées dans la cave de son château en 1638, et vendus à Paris le 6 avril dernier pour 400 euros. Et lorsque la quête de la rareté n'a pas de prix, alors cela donne les 2 millions d'euros acquittés par un amateur anonyme pour un album calligraphié par l'empereur Qianlong lui-même (1736-1795), l'un des grands souverains de la dynastie des Qing, daté de 1769, orné de soie, décorés de médaillons de dragons...Conseils d'Emmanuel de Broglie : si l'on veut connaître ces émotions, il faut aller voir, dans les ventes et les magasins de livres anciens, lire quelques manuels sur l'histoire du livre, de l'imprimerie, de la typographie, de la reliure, interroger ses amis, car il y a de bonnes chances pour que se cache un collectionneur discret parmi vos proches. L'amateur de livres anciens n'est pas un flambeur, il n'arpente pas les galeries parisiennes d'un air satisfait, il cherche, il regarde, il se fait tout petit devant cet objet, qui porte parfois sur lui les traces d'un destin heurté... Mais, sans lui, les hommes seraient restés des ignorants.


François-Philippe Hollier | 30/07/2012, 12:37 - 886 mots  Source internet La Tribune.fr

http://www.latribune.fr/loisirs/20120730trib000711620/de-l-amour-discret-du-livre-de-collection.html

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