dimanche 20 septembre 2009

Le Mystère des impressions en blanc.



Mes biens chers frères bibliophiles, en ce premier dimanche de la saison des pluies, je voudrais m’entretenir avec vous d’un sujet moral, particulièrement délicat, suscité par les commentaires de Bertrand : le juste prix du livre. Sujet qui ne peut que faire couler beaucoup d’encre bibliomaniaque et propulser cet article au premier rang de ceuxsses les plus commentés !!

Pour cela, je suis allé chercher sur un rayon poussiéreux au dernier étage de ma bibliothèque, là où nichent les hiboux, un livre de circonstance, le Livre, devrais-je dire, (Biblos en grec) que tout trader de banque ou honnête libraire devrait lire, méditer, et ranger entre le Tarif des Monnaies et les Œuvres complètes du Marquis de Sade. Il s’agit du Theologi Gabrielis Byel Super Quattuor Libros Sententiarum de Gabriel Biel.






Gabriel Biel, dit le dernier des scholastiques (c.1420 -1495) était un théologien allemand né à Speyer, ordonné prêtre en 1432, il étudia à Heidelberg et Erfurt, devient prieur de la cathédrale de Mainz puis fonda la chaire de théologie de la toute nouvelle université de Tübingen (1477), poste qu’il conserva jusqu’à sa mort. Il est surtout connu aujourd'hui pour son influence sur Luther, par l'intermédiaire de maîtres nominalistes comme lui. Sa première publication fut les canons de la messe, mais son œuvre la plus importante reste les Quatre Livres des Sentences de Pierre Lombard, dans lesquels il se déclare héritier spirituel de Guilllaume d’Ockham.

Petit rappel de quelques notions de scholastique pour ceux qui auraient séché le catéchisme.

Guillaume d'Ockham (c.1285 - 1347), dit le « vénérable initiateur » (Venerabilis inceptor), était un théologien anglais, membre de l'ordre franciscain, considéré comme le plus éminent représentant de l'école scolastique nominaliste. Il est allé plus loin que saint Thomas d'Aquin dans l'affirmation de la séparation de la raison et de la foi, en posant qu'il n'y a pas de hiérarchie entre la philosophie et la théologie. L'un des personnages du Nom de la rose d'Umberto Eco, le moine franciscain Guillaume de Baskerville est, de l'aveu même d'Eco, un clin d'œil à Guillaume d'Ockham.

Sur ses traces, le génie de Gabriel Biel fut d’avoir développé des théories économiques nouvelles, auxquelles il est parvenu par des chemins de traverse en commentant les œuvres de Lombard et d’Ockham.

Ainsi, au livre IV des Quatre Livres des Sentences, il en arrive à la délicate question du bien et du mal dans le commerce. Est-il bien ou mal d’acheter un livre 100 et de la revendre 200 ? Quel est le fruit de mon travail, ma valeur ajoutée ? Petit à petit, il en arrive à dégager la notion de juste prix.

Selon Biel, le juste prix d’une commodité est principalement déterminé par les besoins humains, par la rareté de la ressource et la difficulté à la produire Il énumère ainsi tous les facteurs qui gouvernent le prix du marché et il est en cela plus en avance que St Thomas puisqu’il n’attache à la notion de profit aucun stigmate, considérant que le profit est un bien en soi, et que les marchands sont autorisés à se rémunérer pour compenser le risque lié à leurs affaires. (Cf. Garnier, L'idée du juste prix, 77 et Wihlem Roscher. Geschichte der Nationalokonomik in Deutschland, 21 sq.)

Tout ceci nous parait sans doute évident aujourd’hui, dans notre monde capitaliste, le juste prix est le résultat de l’équilibre entre l’offre et la demande, équilibre non perturbé par des distorsions de concurrence, mais il est amusant d’apprendre que des sujets tels que l’abus de position dominante ou l’entente illégale entre concurrents ont été déduits par Biel il y a plus de 500 ans !
Gabriel Biel a également écrit un ouvrage spécifique sur la théorie monétaire, Ein wahrhaft goldenes Buch (que je n’ai pas encore réussi à dénicher) dans lequel il dénonce l’arbitraire avec lequel les Princes battaient monnaie.

Amis libraires, je vous enverrais, sur simple demande, la table des matières du livre IV, pour que vous retrouviez plus facilement la question métaphysique qui vous taraude …et vous laisse deviser sur le prix du livre.



Pour tout vous dire, ce livre de Gabriel Biel avait quitté mes rayons depuis quelques temps déjà car j’envisageais d’écrire un petit papier sur un mystère des premier temps de l’imprimerie, mystère des plus épais car je ne suis pas parvenu à trouver un seul article ou document de référence pour étayer mes propos : Il s’agit des impressions en blanc.

Si nous reprenons la page de titre du livre second des Quatre Livres des Sentences et que nous l'examinons à la lumière rasante, nous voyons apparaitre d’étranges marques incrustées dans le papier. Des signes cabalistiques, que les imprimeurs semblent avoir dispersés sur toute la surface des pages de titre ou des derniers feuillets, partout où il existe un espace non imprimé. Une petite dizaine de page sont ainsi recouverte de signes, difficilement lisibles … CAX BDHI …





Ces marques apparaissent parfois sur des ouvrages du XVeme et du tout début du XVeme siècle. Tous les livres de cette époque ne sont pas marqués ainsi d’impressions en blanc, cela doit même être assez rare puisque je n’ai pas plus de deux ou trois ouvrages en comportant.

Plusieurs hypothèses sont permises :

- Un message caché ? Peut-être que messieurs Jean Bienayse et Jacques Ferrebouc, imprimeurs du libraire François Regnault, voulaient-ils transmettre en ce jour du 22 février 1514 un secret ? Auraient-ils découvert un exemplaire du traité de Mazandarani qui donne le centième nom ? Pour cela il faudrait déchiffrer le code de ce message secret et je dois dire que toutes mes tentatives ont échouées.

- Une protection contre le mauvaise œil ? Bien utile en ces temps où plus d’un imprimeur finissait sur le bucher.

- Une astuce typographique qui servait à maintenir la feuille de papier sur le marbre ? Mais alors pourquoi cette technique n’a été employée que sur quelques ouvrages et pendant un laps de temps assez court ? De surcroit, il doit être particulièrement difficile d’encrer avec le tampon de cuir le texte qu’on souhaite imprimer et laisser en blanc des lettres qui sont situées proches du texte écrit !

« il ne faut pas multiplier les explications et les causes sans qu'on en ait une stricte nécessité. » (Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem). (Guillaume d’Ockham)

Je crois que vous ne serez pas trop d’une centaine de lecteurs assidus du Bibliomane Moderne pour percer ce secret …

Bonne Recherches !

Textor

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