mercredi 9 septembre 2009

Guillaume Guéroult, Poète oublié.




Je voudrais réhabiliter les mânes de Guillaume Guéroult, poète au talent réel, qui se verrait volontiers nommer récipiendaire au siège numéro huit, encore vacant, de l’Académie des Oubliés.

Guillaume Guéroult est un auteur normand, à la fois imprimeur, éditeur, traducteur, qui s’est illustré dans la rédaction d’emblèmes, genre à part entière au XVIeme siècle. Né à Rouen vers 1507 et mort à Lyon en 1569, il avait embrassé la religion réformée assez jeune, vers 1540, à la suite de son oncle Guillaume-Simon du Bosc, libraire-imprimeur à Rouen.

Sa vie – agitée – et sa bibliographie ont fait l’objet d’un bel article sur Wikipédia qu'il est bien inutile de paraphraser (décidément la concurrence est rude pour le Bibliomane Moderne !). L’article, fort documenté, décrit par le menu les démêlés judiciaires de Guéroult avec la justice genevoise, à la suite d’un rapprochement avec le groupe des Libertins, ce qui n’était pas pour plaire à Calvin, et surtout, après la publication du Christianismi Restitutio de Servet, médecin viennois, qui finit sur le bucher.

La vie de Guillaume Guéroult est là pour nous rappeler que l’entreprise éditoriale n’était pas un long fleuve tranquille au XVIeme, pas plus pour ceux qui osent avoir des idées novatrices que pour les libraires-imprimeurs qui se risquent à les publier (Elle reste difficile aujourd’hui, n’est-ce pas Bertrand et Xavier ?)

Les docteurs de Sorbonne, sans doute nostalgiques d’une époque où seul l’atelier de la Sorbonne produisait tout ce que la France comptait d’imprimés ne supportaient pas que des études philosophiques soient réalisées par des humanistes pressentis pour ne pas diffuser la « vraie foi ». Le point d’orgue de ces persécutions, côté catholique, fut sans doute l’affaire des placards (17-18 octobre 1534) publiés par Pierre de Vingle, après avoir osé publier le nouveau testament en français. (Ce qui était interdit). Il fut obligé de quitter Lyon pour se réfugier en Suisse, poursuivi par Noel Beda.

Une vague d’hystérie et de persécutions avait suivi l’affaire des placards, elle a emporté plusieurs libraires-imprimeurs humanistes comme Antoine Augereau qui fut pendu puis brulé place Maubert à Paris, le 24 décembre 1534. Des libraires comme Simon du Bois et Jérôme Denis, recherchés, ont disparu sans laisser de trace. D’autres s’en sont mieux tirés tel Robert Ier Estienne ou Simon de Colines, pourtant suspectés « d’Erasmisme ». C’est l’époque où les éditions d’Erasme sont « caviardées » (il n’est pas rare d’avoir un exemplaire de cet auteur avec son nom biffé, regardez bien les vôtres) et il n’y aura plus d’édition parisienne des Colloques, même sans adresse, ni de Bible avec les commentaires de Lefèvre d’Etaples, après cette date. (A moins que Martin ne nous en trouve une !...)

Les démêlés de Guillaume Guéroult avec Calvin, longuement décrit dans l’article précité, montre que les Protestants ne furent pas en reste pour imposer leur doctrine par la terreur.

L’article en question s’attache à nous peindre un Guéroult habile politique, qui finalement se sort plutôt bien de tous ces tracas judiciaires mais il passe un peu vite sur le talent littéraire de notre poète. Là, c’est le rôle du Bibliomane !




Historia Stirpium en françois , 1550


Mieux qu’un long discours, voici un extrait de son style, tiré du sonnet qui ouvre les Chansons Spirituelles :

« Esprit désirant le soulas
De la musique harmonieuse

Pour retirer vos cueurs des laqs

De tristesse trop ennuyeuse

Prenés joye solatieuse
Dedans cet ouvrage petit

Qui de pensée soucieuse

Peut bien contenter l’appetit

Mais s’il n’a ceste gayetté
Qui ne sert qu’à lascivité

N’en formés ja pourtant complainte

Car mieux convient la gravité
Pour exprimer la majesté

Qui gist en l’Escriture Saincte »
(1)

Ce texte annonce bien la tonalité des Chansons de Guéroult : joie contenue, gravité et majesté.


Voici un autre exemple extrait du célèbre ouvrage, l’Histoire des Plantes mis en commentaires de Leonart Fuchs (1550). Il s’agit de l’épitre qui ouvre le livre :

« Esprit français favorisé des Muses
Esprit auquel leurs grâces sont infuses
Si oncque désir d’avoir fruition
D’un proufit joincte à la délectation
A peu ton coeur héroïque esmouvoir
Si oncque aymas choses excellente veoir
Voici de quoy . Jecte doncque tes yeux
Sur ce volume exquis et précieux
Qui te présente en sa diversité
Et fleurs, et fruicts, plein de suavité. » (2)

Je vous laisse découvrir la suite sur la figure ci-jointe, dans cet exemplaire qui a été très surchargé dans ses premières pages, s’agissant d’un exemplaire de travail utilisé par des générations de médecins.


Sa prose aussi ne manque pas d’intérêt et par comparaison la traduction du même livre de Fuchs par Eloy Maygnan pour un même passage donne un style plus délié. Voici un exemple à la rubrique « le blez turquois » (3)

« Le Blé turquois est une espèce de blé qu’on nous ha apporté de pays estrange ainsi que plusieurs autres choses. Il est venu de Grèce et d’Asie par la Germanie qui fait qu’il a été appelé le Blé Turquois. Car le trèscruel Turc tient pour le jourd’huy toute l’Asie » (Version de Guéroult)


« Ce bled (comme plusieurs autres) est du nombre de ceulx qu’on nous apporté d’estrange pays. Il vient de Grèce et d’Asie en Allemaigne, et de là on l’appelle bled de Turquie. Car pour le jourd’huy le Grand Turc possède et détient universellement toute l’Asie. » (version de Maignan)(4)



Et pour finir, voici une belle suite d’ex-libris de la gente médicamenteuse qui a voulu témoigner son attachement à ce livre et à Guillaume Guéroult.


Bonne journée,
Textor

(1) Premier livre des chansons spirituelles, nouvellement composées par Guillaume Guéroult, et mises en musique par Didier Lupi Second, Lyon, Godefroy et Marcellin Beringen, frères, 1548.
(2) Histoire des plantes mis en commentaire, Lyon, Guillaume Rouille, 1550 ; Pet In-fol de (1) bl.+(16)ff + 607 pp.
(3) Précision : le blez turquois, où maïs, dont on voit ici la première représentation figurée, portait ce nom parce qu’il avait été rapporté par Christophe Colomb des Indes (ou Turquie), enfin bref d’Amérique ! Nos cousins québécois continuent de parler « d’épluchettes de blé d’Indes » lorsqu’ils font des parties de maïs-grillé.
(4) Commentaires tres excellens de l'histoire des plantes composez premièrement en latin par Leonarth Fousch et depuis, nouvellement traduictz en langue françoise, par un homme Eloy Maignan, scavant et bien expert en la matière - Paris, Jacques Gazeau, 1549 ;In-folio de 288 ff ; (2) ff Titre et privilège - (9) ff Table mq bb4, blanc - 277 ff - mq dernier f blanc.

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