jeudi 4 décembre 2008

Le diable boiteux de Lesage (1707) : Une seconde édition boiteuse...




Chers amis,

Je dois bien l’avouer, certaines habitudes sont fâcheuses.

Pourtant, certains jours, éclairés de la lumière des justes, on a le sentiment d’avoir réussi un petit quelque chose qui vous satisfait son homme, son bibliophile, son bibliomane et son libraire tous ensemble réunis comme un seul.

C’est avec plaisir que je vais essayer de vous conter mon aventure du jour.

J’avais sur mes rayons depuis quelques temps déjà un exemplaire médiocre (reliure usagée d’époque et feuillets fatigués, mais complet) d’un ouvrage réputé : Le diable boiteux d’Alain-René Lesage.

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Ouvrage publié en 1707 chez la veuve de Claude Barbin à Paris (lire au sujet de ce libraire au destin particulier notre ARTICLE publié ces dernières semaines sur le Bibliomane moderne). D’après les principaux bibliographes consultés, il s’agirait d’une des plus rares éditions originales de la littérature française du XVIIIe siècle. Ce roman devenu célèbre est une imitation libre de l’espagnol el Diablo cojuelo de Luis Vélez de Guevara. C’est avec le Diable boiteux que Lesage s’annonce sur le devant de la scène littéraire, il donnera d’autres chefs-d’œuvre (Histoire de Gil Blas de Santillane, le Bachelier de Salamanque, etc.)

L’exemplaire en question est à la date de 1707 mais en seconde édition (en 318 pages). J’ai consulté les bibliographies comme Rochebilière et Tchémerzine qui donnent quelques détails sur cette édition. Et là… cela se complique. Rochebilière indique qu’il existe une « véritable » seconde édition et une « fausse » seconde édition… On reconnait la « véritable seconde édition » au fleuron qui est sur le titre et qui est identique à celui de la première édition (en 314 pages), mais également a u mot « FIN » à la page 318 qui doit être en lettres capitales et non en italiques comme dans la contrefaçon. Vous suivez ? Veuillez trouver ci-dessous la notice donnée par Rochebilière.

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Mon exemplaire (appelons-le EXEMPLAIRE A) est bien la « véritable seconde édition » avec toutes les caractéristiques requises. Voir également la notice ci-dessous établie par Tchémerzine.

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J’oubliais de dire que mon exemplaire EXEMPLAIRE A avait le joli frontispice gravé signé Magdeleine Horthemels alors qu’il ne devrait se trouver que dans l’édition originale de 1707 en 314 pages.

La bibliophilie n’étant faite que de hasards contrôlés, un nouvel exemplaire (EXEMPLAIRE B) arriva ce matin sur mon bureau. Plus joli que le premier, relié en veau de l’époque, au dos très orné aux petits fers, c’est une reliure typique de son époque qui lui donne un charme supérieur. Il possède également le joli frontispice gravé qui ne devrait pas y être. Il est également de la seconde édition.

Avec deux exemplaires à ma portée, ma curiosité m’a naturellement poussé à prendre en mains les deux exemplaires côte-à-côte et à commencer à les comparer pages à pages. Manie de bibliomane sans doute, mais qui ne s’avéra pas inutile.

Même frontispice, même titre, même nombre de pages, même disposition à première vue.
A première vue seulement.

En me penchant de plus près sur les premières pages, j’ai tout d’abord remarqué que la page 1 avait un bandeau différent ! Cela m’a suffisamment intrigué pour que je poursuive la comparaison de toutes les pages entre elles. De nombreuses différences sont apparues comme vous pouvez le voir dans les photographies comparatives ci-dessous.

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Différences de frises typographiques, différences de justification des lignes, quelques minimes différences de mots, et notamment une faute dans l’un (EXEMPLAIRE A) qui se trouve corrigée dans l’autre (EXEMPLAIRE B), voir photographie ci-dessous.

Que conclure de tout ceci ?

A ma connaissance, aucun bibliographe n’a à ce jour décrit ces différences de « tirages » entre des exemplaires de la « véritable seconde édition » de 1707. Car ce sont bien des différences qui sont le résultat de quelques changements opérés pendant le tirage de cette édition. Pour autant, la plupart des feuillets de l’EXEMPLAIRE B n’ont pas été recomposés et sont strictement identiques à ceux de l’EXEMPLAIRE A. Ce sont seulement quelques feuillets (voire cahiers) qui ont été « recomposés ». Pourquoi ? Il n’apparait pas évident que ce soit pour des raisons de fautes excessives (qui auraient pu être corrigées par l’insertion de quelques cartons ou d’un copieux errata). Cela reste donc pour moi un mystère.

On sait donc maintenant qu’il existe à la date de 1707 au moins deux tirages sensiblement différents du Diable boiteux en seconde édition. Cela n’avait jamais été signalé. Un docteur en bibliographie dûment assermenté se chargera bien un jour de publier la chose qu’il aura découverte lui-même. J’oubliais de dire que la faute de la page 268 qui est corrigée dans l’EXEMPLAIRE B nous fait penser que cette édition est un second tirage partiellement corrigé sur l’EXEMPLAIRE A.

Un libraire propose actuellement un exemplaire curieux marqué « Troisième édition », également non signalé par Tchémerzine, en 318 pages, mais sans privilège (mon exemplaire en est bien pourvu ainsi que de l’approbation) et avec le mot « FIN » en capitales et non en italiques, ce qui réfute l’hypothèse d’une contrefaçon qui est signalée par Tchémerzine et Rochebilière comme une troisième édition annoncée par le Journal de Verdun en 1707). Oups ! Vous suivez toujours ?

L’affaire est donc bien compliquée. D’autant que je n’ai à ma disposition que deux exemplaires de cette « seconde » de 1707… un troisième exemplaire me donnerait peut-être encore quelques sueurs froides… attendons…

Comme nous le rappelle Tchémerzine : « On sait que deux seigneurs de la cour se battirent à l’épée dans la boutique de Barbin pour avoir le dernier exemplaire de cette seconde édition. » Tchémerzine ajoute : « Très rare ». Mais de quel exemplaire s’agissait-il ? EXEMPLAIRE A ou B ? (sourire) ou C ? (s’il existe).

En espérant que cette petite trouvaille bibliographique qui tient plus de l’anecdotiana, sans doute insignifiante, qui n’a que l’importance que le bibliomane patenté que je suis, veut bien lui donner, vous aura distrait à défaut de vous donner envie de collectionner toutes les secondes éditions A, B, etc., du Diable boiteux

Amitiés,
Bertrand

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